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l'homme qui avait vu la vague

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La science qui donne vie à l'art

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En voulant percer les mystères d'un type de vague océanique que tous les marins redoutent, des physiciens de l'Université d'Édimbourg et d'Oxford ont levé le voile sur le mystère d'une des œuvres d'art les plus connues du monde. 

LES VAGUES EN 60 SECONDES 

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Au centre du laboratoire du groupe de recherche de Mark McAllister, un bassin d'eau circulaire de 25 mètres de diamètre, dont les ondulations sont contrôlées par 168 générateurs de vagues, fixés tout le long de sa circonférence. Près du bassin, un ordinateur contrôlant à son tour l'action des générateurs de vagues.

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Le jour de décembre 2018 où McAllister et ses collègues ont réussi à créer une vague scélérate en laboratoire, l'écran de l'ordinateur affichait une image familière en guise de fond d'écran : sous le regard lointain et séculaire du mont Fuji, une énorme vague d'un bleu profond déferle, écumante, sur trois petits bateaux de pêcheurs japonais.

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La Grande Vague de Kanagawa.

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La Grande Vague de Kanagawa par Katsushika Hokusai, gravure sur bois

katsushikahokusai.org

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"C'est mon collègue Donald Noble qui a pris la photo de notre vague, et qui a remarqué la ressemblance avec l'œuvre d'art", raconte McAllister, se remémorant le moment où l'équipe a comparé l'onde qu'ils venaient de créer, avec la célèbre vague peinte par l'artiste japonais Katsushika Hokusai autour de 1830.

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L'objectif des physiciens de l'Université de Londres et d'Édimbourg, ce jour-là, n'était bien sûr pas de forcer Hokusai à se retourner dans sa tombe. Il s'agissait plutôt de comprendre le processus de formation des vagues appelées scélérates, afin de pouvoir les prédire et peut-être, un jour, sauver des navires de leur action destructrice.

 

Sans s'y attendre, les physiciens de l'Université d'Oxford et d'Édimbourg ont également répondu à une question posée par un autre physicien de l'autre côté de la Manche, en 2009, et reprise sans cesse depuis:

Quel type de vague Katsushika Hokusai a-t-il immortalisé en créant La Grande Vague de Kanagawa ?

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COMME DEUX GOUTTES D'EAU

Qu'on ne s'y méprenne pas; c'est bien le mont Fuji qui était l'obsession de l'artiste Hokusai pendant les années où il a réalisé ses Trente-six vues du mont Fuji, série d'estampes japonaises dont la Grande Vague fait partie. Pourtant, ce n'est pas le volcan qui a attiré l'attention du chercheur Julyan Cartwright, spécialiste des systèmes physiques dynamiques tels que les ondes océaniques, et de Hisami Nakamura, professeure en philosophie à l'Université de Tenri, au Japon. 

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Si la ressemblance frappante entre la Grande Vague et les vagues scélérates ne semble "qu'un détail amusant" pour Mark McAllister, il en est tout autrement pour Cartwright. Dès la question de la nature de la vague d'Hokusai posée sous la forme d'un article publié à la Royal Society en 2009, la paire de chercheurs n'y allait pas de main morte avec l'analyse scientifique de l'œuvre d'art. 

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En utilisant la longueur connue des petits bateaux de pêcheurs de l'époque d'Hokusai, nommés oshiokuris, ainsi que l'inclinaison des flancs du mont Fuji, que l'artiste aurait augmentée de 30%, Cartwright en déduit que la Grande Vague fait entre 10 et 12 mètres de haut. Une envergure démesurée par rapport aux vagues les plus hautes observées par mauvais temps, selon des études faites dans la baie de Tokyo, où se déroule la scène. 

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Est également exclue la théorie du typhon, comme en témoigne la neige qui couronne le mont Fuji, absente pendant les mois où le phénomène météorologique est présent. Elle n'est donc ni une vague née d'une tempête, ni, par ailleurs... un tsunami. L'interprétation la plus populaire de l'estampe japonaise est qu'elle représente un raz-de-marée; or, le souligne Cartwright, notre fameuse vague est beaucoup trop localisée, autrement dit beaucoup trop "mince", pour en être un. En effet, les tsunamis sont d'immenses masses d'eau se déplaçant sous la forme d'une très large et très longue onde océanique, ne devenant un mur gigantesque qu'à l'approche de la rive.

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Enfin, le physicien tire, de l'écume blanche en doigts de sorcières qui frise à la crête des vagues environnantes et de la Grande Vague, la conclusion que la célèbre onde est une "plongeuse brisée".

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Une vague d'une amplitude démesurée, solitaire, dont la crête se brise loin de la rive ? 

 

Pour Julyan Cartwright, "il n'y a aucun doute que la Grande Vague est une vague scélérate". 

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Près de 10 ans après la rédaction de son article, le physicien est agréablement surpris de la création en laboratoire, par Mark McAllister, d'une jumelle de la célèbre vague. "Je suis content pour Hokusai. Je l'imagine ricanant de satisfaction dans sa tombe", plaisante-t-il.

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PETITS BATEAUX ET DOIGTS DE SORCIÈRES

Pour les physiciens qui étudient le comportement des vagues en haute mer, les vagues scélérates ne sont pas à prendre à la légère. Elles font partie des ondes océaniques les plus difficiles à analyser et à prédire, et sont soupçonnées d'être derrière des centaines de naufrages non-résolus à travers les derniers siècles.

 

Caractérisée par une amplitude démesurée par rapport aux vagues l'environnant, la vague scélérate est longtemps restée une histoire de marins, les survivants de naufrages rapportant l'apparition soudaine d'une vague gigantesque devant leurs yeux.  Ce n'est qu'au jour de l'An 1995, que le phénomène est devenu sujet d'étude, lorsque une telle vague a été surprise et filmée, s'écrasant sur le flanc de la plateforme pétrolière Draupner, au large de la Norvège.

LES VAGUES À LA LOUPE 

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LA CHASSE AUX SCÉLÉRATES

Comment savoir si l'œuvre d'art japonaise représente un phénomène naturel de manière précise, ou s'il s'agit seulement du produit de l'imagination de l'artiste? “L’art est une affaire d’interprétation, autant pour l’artiste que pour son admirateur.” De l’avis de Mark McAllister, il est plus que facile de voir ce que l’on désire voir dans une œuvre.

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Cette nuance, Julyan Cartwright et Hisami Nakamura ne l'ignorent certes pas. En regardant l'ensemble de son œuvre, "il est clair qu'Hokusai était un naturaliste, et tentait, avant même l'invention de la photographie, de capturer la nature en mouvement", affirment les deux collègues. Cartwright aime à pointer le caractère insaisissable de plusieurs phénomènes de la nature à l’époque pré-photographie. Dû au dynamisme de phénomènes aussi communs que le galop d’un cheval, le mouvement des feuilles au gré du vent, et bien sûr les vagues océaniques, les artistes se trouvaient bien en peine d'en reproduire les détails adéquatement. 

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Peinture sur canevas par George Stubbs (1724-1806)

Il est apparent que le mouvement des pattes d'un cheval au galop n'avait pas encore été tout à fait saisi par l'artiste.

Sur ce point, Cartwright, Nakamura et Dudley s'entendent sans aucun doute: Hokusai était un "observateur de la nature hors-pair". Et puis, comme le souligne Nakamura, l'histoire ne manque pas d'exemples d'œuvres d'art à partir desquelles les scientifiques ont tiré des informations qui se sont révélées plus qu'utiles par la suite : que ce soit le Paysage au lever de la lune de Van Gogh, qui montre précisément la position de la lune au soir du 13 juillet 1889, ou les représentations du Parlement de Londres par Monet, qui donnent des indices sur le degré de pollution atmosphérique pendant le printemps 1900.

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Pour Cartwright, il est important, dans la mesure du possible, de définir le plus précisément possible la nature des phénomènes naturels illustrés par les artistes, puisque des images iconiques telles que la Grande Vague, portent le poids des symboles auxquels on les associe. Le physicien trouve "dangereuse" la rapidité avec laquelle on identifie, à travers le monde, la Grande Vague comme étant un tsunami, sans y repenser à deux fois. Sur le site internet de l'International Tsunami Information Center, créé par l'Unesco, la bannière utilise, sans ambiguïté possible, l'image d'Hokusai ; Cartwright et Nakamura le faisaient remarquer en 2009, et plus de dix ans plus tard, elle y est encore.

 

"Considérant le fait qu'un tsunami ne présente jamais l'aspect de la Grande Vague, cela peut entraîner des problèmes quant à la reconnaissance et à la sensibilisation aux tsunamis", concluent-ils. "Il faudrait un autre grand artiste pour créer une image d'un tsunami qui en deviendrait le nouveau symbole", propose Cartwright.  

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Une chose est sûre aux yeux de Mark McAllister et de Julyan Cartwright, tous deux physiciens : "des accidents tels que la création d'une jumelle de la Grande Vague en laboratoire, sont très utiles pour capturer l'imaginaire du public, et le sensibiliser à l'importance de la recherche scientifique.

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"À l'âge de six ans, j'avais déjà l'habitude de dessiner en m'inspirant de la nature. À partir de cinquante ans, je me suis mis à produire une bonne quantité d'œuvres, mais rien de ce que j'ai créé avant l'âge de soixante-dix ans ne vaut grand chose. À soixante-treize ans, j'ai commencé à comprendre la structure des oiseaux et des bêtes, des insectes et des poissons, et de la manière dont les plantes grandissent. Si je continue à m'efforcer, je vais certainement encore mieux les comprendre à quatre-vingt ans, pour enfin pénétrer leur essence à quatre-vingt-dix. Passé cent ans, j'espère avoir acquis une compréhension divine de la nature, et à cent-dix ans, être capable de donner vie à chacune des lignes que je trace."

                                                                                                 KATSUSHIKA HOKUSAI

L'INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ DE L'ART

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Références et ressources

Montage vidéo

DaVinci Resolve 15

Experts cités

Julyan Cartwright, Spanish National Research Council

Hisami Nakamura, Université de Tenri

Mark McAllister, Université d'Oxford

John Dudley, Université de Franche-Comté

Sources des images utilisées dans la vidéo

Julyan Cartwright

pixabay.com (libres de droits)

Articles scientifiques cités

What kind of wave is Hokusai's Great Wave of Kanagawa?, Julyan H. E. CARTWRIGHT et Hisami NAKAMURA, Notes & Records of the Royal Society, 25 février 2009

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On Hokusai's Great Wave off Kanagawa: localization, linearity and a rogue wave in sub-antarctic waters, J. M. DUDLEY, V. SARANO, F. DIAS, Notes & Records of the Royal Society, 6 mars 2013

Pour le chercheur John Dudley, physicien spécialisé en optique non-linéaire à l'Université de Franche-Comté, il ne faut pas si rapidement faire une croix sur les vagues de type linéaires. Lors d'une tempête, ces ondes océaniques sont récurrentes, et peuvent présenter le même aspect, avec cependant une amplitude moindre.

 

Peut-être Hokusai a-t-il simplement voulu illustrer "l'habileté des marins à manœuvrer autour d'une vague", dont l'artiste aurait exagéré l'envergure pour dramatiser la situation? C'est la question que pose Dudley, dans un article publié en mars 2013, en réponse à la théorie de Julyan Cartwright.

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